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Le Baroudeur exalté

Sean Penn

C’est le dernier « bad boy » du showbiz, une icône à part dans le cinéma américain, presque une légende de son vivant. À 61 ans, Sean Penn reste une énigme qui se décode. Quand il se livre par à-coups, c’est en choisissant ses mots avec soin, sans formules toutes faites. Discours qui reflète les préoccupations d’un homme à mi- vie, assumant ses contradictions et son cortège de doutes. « Je me mets moins en colère qu’autrefois, admet-il. Je préfère dépenser mon énergie autrement, de manière plus constructive. » 

Bilan provisoire, deux oscars, un Golden Globe, un ours d’argent à Berlin, deux coupes Volpi à Venise, une Palme à Cannes et un César d’Honneur.

Sean Penn est un acteur de conviction qui retroussent ses manches et s’implique sur le terrain. Non seulement il endosse des rôles symboliquement forts (« Harvey Milk », « Mystic River », …), mais il réalise aussi (« Into the Wild »). Il sait aussi agir et réagir notamment en réaction aux catastrophes environnementales (Katrina, Haïti, …).

Portrait d’un baroudeur exalté, entre violence et citoyenneté…

Portrait Sean Penn : Le Baroudeur exalté - ScreenTune
Photo by Ian White
  • « Il n’y a aucune honte à dire que nous voulons tous être aimés. »

Sean Penn est né le 17 août 1960 à Santa Monica en Californie dans une famille de cinéastes. Il baigne donc très tôt dans le cinéma, il est le fils de l’acteur et metteur en scène Leo Penn et de l’actrice Eileen Ryan. Son frère aîné Michael est auteur-compositeur-interprète tandis que son frère cadet Chris, mort en 2006, était également acteur. Sean, Chris et leur mère Eileen étaient tous trois à l’affiche du film « Comme un chien enragé » en 1986.

Il possède également des origines diverses, ses grands-parents paternels étaient des immigrés juifs de Russie, alors que sa mère est catholique d’ascendance italienne et irlandaise. Penn a été élevé dans la laïcité et est agnostique.

Enfant du sérail, accro au théâtre depuis que teenager, il gran­dit sur la côte californienne à Santa Monica.

Très tôt, sa mère (dont il confie qu’ « elle était dure et buvait dur ») l’en­cou­rage à s’aventurer et à faire l’ap­pren­tis­sage de la nature. Son père ne trouve pas le sommeil et l’emmène marcher de longues heures dans le désert… Adolescent en rupture, grand pote de Charlie Sheen, Sean noie les fantômes qui lui collent à la peau dans les vagues… et dans la bière ! Fêtard et surfeur fou d’océan, il risque tous les jours sa vie sur une planche, près d’un littoral semé de rochers. Aujourd’hui encore, il « déteste la prudence » …

En 1979, Sean Penn quitte le lycée et s’inscrit en fac de droit. Mais le code pénal le passionne beaucoup moins que l’immense Marlon Brando, « une créature poétique, un esprit libre et pur », son idole… Attiré par la scène, il rejoint le Group Repertory Theatre de Los Angeles, avant de s’orienter vers la télévision. Ses premiers pas à l’écran se font en 1981 dans « Taps » d’Harold Becker, avec un certain Tom Cruise.

À l’instar de sa filmographie, l’homme est imprévisible. Au début de sa carrière, dans les années 1980, son nom passait alternativement des pages cinéma aux pages people, avec de temps à autre un arrêt dans la rubrique faits divers. Jusqu’à son premier rôle, son quotidien est fait de bagarres dans les bars. Sa vie se résume à de pathétiques libations, entre deux castings ratés.

Traumatisé, le jeune premier ne sent pas du tout à l’aise dans ce milieu et n’arrive pas à exprimer ses talents. En mettant un pied à Hollywood, Sean renoue avec l’histoire de son père : la Mecque du cinéma américain a banni, blacklisté, condamné à faire du téléfilm pour nourrir sa famille ce réalisateur qui ne voulait pas dénoncer ses amis pendant le maccartisme. Pilote héroïque de la Seconde Guerre Mondiale, Leo Penn est passé des honneurs de la guerre à l’horreur de la Chasse aux sorcières. Empreint de ce destin bafoué, Sean Penn devient agressif et vindicatif.

Sa carrière met un peu de temps à démarrer, il joue surtout à ses débuts dans plusieurs teenage movies. Il décroche plus de rôles mais conserve son caractère violent. Hollywood, qui aime les catégories toutes faites, en fait un jeune chien fou, comme avec ce rôle de lycéen surfer rebelle dans « Fast Times at Ridgemont High » et dans « Shanghai Surprise » (1986) de Jim Goddard avec Madonna.

  • La reconnaissance :

A 25 ans, après une liaison avec Susan Sarandon, il épouse Madonna, pop star en vogue grâce au succès de « Like a Virgin », qu’il a rencontrée sur le tournage de « Shanghai Surprise » (1986). Ils divorceront quatre ans plus tard. Pendant cet idylle, il maîtrise mal sa violence. Visage émacié et moustache provocante, Sean Penn incarne un mélange d’euphorie et de désespoir. Il boit, écrit des poèmes, perd le droit de conduire et sous l’emprise de l’alcool, amoche les mâchoires des paparazzi (et de sa belle, parait-il) …

Celui qu’Hollywood surnomme déjà le nouveau James Dean reçoit de nombreuses propositions pour des rôles rebelles et antisociaux. C’est notamment dans « Crackers » (1984) de Louis Malle, « Le Jeu du Faucon » de John Schlesinger et au côté de Christopher Walken dans « Comme un chien enragé » (1986) de James Foley que sa carrière prend un tournant.

Dans ces trois films, le jeune Sean Penn y révèle tout son talent d’acteur dramatique. Dans le film de James Foley, sa performance de petite frappe et son comportement de caractériel lui acquiert un début de notoriété et une sulfureuse réputation.

C’est à ce moment-là que naît sa réputation d’acteur rebelle et de « bad boy » à Hollywood. « Quoi que je fasse, je ne pourrai rien contre certains préjugés à mon encontre ». Cette étiquette lui vaut d’être la cible régulière des médias même si son interprétation dans « Colors » en 1988 de Dennis Hopper met en accord critiques et public.

Sa personnalité impétueuse, son visage ingrat et son regard perçant cantonnent Penn à des rôles de brutes épaisses… Petit teigneux (1,70m, à peine) dans « Outrages » (1989) de Brian De Palma au côté de Michael. J. Fox dans lequel il interprète un soldat violeur façonne la légende d’un acteur qui effraie autant qu’il exaspère.

  • L’ascension :

Sur le tournage « Les Anges De La Nuit » de Phil Joanou en 1990 le boxeur fatigué rencontre Robin Wright, actrice apparue dans « Forrest Gump », « House of Cards », … De leur union naissent deux enfants : une fille, Dylan Frances, en 1991 et un garçon, Hopper Jack, en 1993. Aux côtés de la douce interprète de Kelly dans « Santa Barbara », Sean Penn apparaît tempéré et assagi. Il atteint le sommet de son art dans l’incarnation nuancée de personnalités ambiguës.

En 1993, il obtient le Golden Globe du meilleur second rôle pour « L’impasse » (De Palma), face à Al Pacino. Il offre une fantastique performance en avocat véreux. Il y apparait également transformé, enlaidi avec des cheveux bouclés et des lunettes.

Pourtant, c’est peut-être son rôle dans « La dernière marche » (1995) réalisé par Tim Robbins qui met le mieux en valeur les émotions qu’il exprime. Sean Penn y joue un condamné à mort porté par la douleur qui se lit sur son visage et dans son regard de dur. L’acteur arrive à attendrir le spectateur avec une performance de haut vol pour laquelle il reçoit l’Ours d’argent du meilleur acteur à la Berlinale de 1996 ainsi qu’une nomination aux Golden Globes et aux Oscars la même année.

  • « Je pense que nous avons tous de la lumière et de l’obscurité en nous. »

À l’image de sa vie, sa carrière bascule. « J’ai survécu à pas mal de colères. Je les ai remplacées par de l’amour. La vie n’est qu’une longue guérison », dit-il à ce sujet. Au milieu des années 1990, il ne cesse de monter en puissance, aussi parce que les rôles qu’on lui offre savent mettre en valeur cette dualité. La consécration arrive en 1997 avec le prix d’interprétation masculine à Cannes pour « She’s So Lovely », coécrit avec son ami Nick Cassavetes ou encore « La Ligne Rouge » en 1999 de Terrence Malick. Pourtant, jouer ne l’intéresse plus, ne cesse-t-il de proclamer.

Sans pour autant quitter les plateaux de cinéma, l’acteur se tourne vers l’écriture. « Un film doit être un rêve partagé. Tout le reste n’est souvent que galimatias émotionnel. » La culpabilité, la vengeance et le pardon sont les thèmes qu’il aborde dans les films qu’il réalise. « The Indian Runner » en 1991, premier essai réussi qui basé sur le développement de la chanson « Highway Patrolman » de Bruce Springsteen, ainsi que d’une vieille légende indienne sur l’épreuve que doivent passer les jeunes gens pour entrer dans l’âge adulte.

Vient ensuite, « Crossing Guard » en 1995 qui met en scène un père de famille (interprété par Jack Nicholson) désespéré qui veut se venger.

Avec « The Pledge » en 2001, Sean Penn adapte le roman « La Promesse » (Das Versprechen) de Friedrich Dürrenmatt avec encore une fois le grand Jack Nicholson dans le rôle de Jerry Black, un détective à la retraite qui décide d’aider un collègue dans une dernière affaire : le corps d’une petite fille de huit ans violée est retrouvé dans les montagnes du Nevada. Après l’annonce du drame aux parents, Jerry s’engage auprès de la mère désemparée à retrouver le meurtrier.

Enfin vient « Into the Wild » en 2007, un film qui sonne comme la respiration artificielle des années 2000 pour ceux qui étouffaient dans leur quotidien. Tablant sur la nature et la décroissance pour trouver « la » vérité et se trouver soi-même, le métrage propose d’échapper au matérialisme, à la société, à la fausseté, au consumérisme, aux apparences, à l’argent. Bref, à tout ce qui n’est pas fondamentalement nécessaire à la vie ou au bonheur.

  • La consécration :

Sean Penn continue en parallèle sa carrière d’acteur, en musicien dans « Accords et désaccords » de Woody Allen (1999), en attardé mental dans « Sam, je suis Sam » de Jessie Nelson en 2001 ou en greffé du cœur dans « 21 grammes ». Le réalisateur mexicain Alejandro González Iñárritu dit de lui : « Travailler [avec Sean Penn], c’est jouer au foot avec David Beckham ou faire du vélo avec Lance Armstrong. Vous jouez dans la cour des grands ».

Mais c’est avec « Mystic River » de Clint Eastwood en 2003 que Sean Penn entre vraiment dans la cour des très grands en remportant l’Oscar du « meilleur acteur ». Adapté du roman éponyme de Dennis Lehane, Il y incarne un père endeuillé par la mort de sa fille. Composant tout en finesse, Penn incarne parfaitement ce personnage torturé par une douleur intense, dont il est contraint d’accepter les conséquences. Alors qu’il essaye de l’apprivoiser, il se laisse consumer par un désir obsessionnel de vengeance qui ne sera assouvi qu’une fois qu’il aura trouvé et tué le coupable.

Dans ce film, Clint Eastwood pousse son art jusqu’à ses limites, sans jamais tomber dans le trop-plein de sentiments ou le surplus d’effets. En témoigne le dénouement de la sublime scène d’affrontement entre Dave Boyle et Jimmy Markum. Un éclat de lumière blanche pour résumer en un électrochoc tous les tenants et aboutissants du drame que viennent de vivre ces personnages. Il propose un travail d’une grande virtuosité sur la valeur des cadres et l’enchaînement des plans. Alors qu’il filme une histoire intime, il garde une certaine distance par rapport à ses sujets, jouant sur l’alternance entre proximité et éloignement.

À de nombreuses reprises, il filme certaines scènes en prises de vues aériennes comme pour signifier un œil extérieur omniscient, un être suprême qui dirigerait le destin de tous ces individus. Une marque de réalisation caractéristique du cinéaste. S’étant contenté de rester derrière la caméra, le maître fait également preuve d’une direction d’acteurs irréprochable. Chaque réplique sonne juste, chaque mouvement est à sa place. Le tout est accompagné d’une sublime musique en totale adéquation avec le sujet, écrite et interprétée par Clint Eastwood lui-même et son fils Kyle. Une unité qui fait de « Mystic River » un réel chef d’œuvre, et sûrement l’un des meilleurs films du réalisateur.

Mais le bad boy ne va pas s’arrêter là, en 2009, il décroche sa seconde statuette de « meilleur acteur » pour sa prestation dans le rôle d’Harvey Milk, un homme politique américain militant pour les droits civiques des homosexuels assassiné en 1978. Cette biographie réalisée par Gus Van Sant intitulée « Milk » est une des meilleures performances de l’acteur.

Le scénario du jeune Dustin Lance Black, élevé dans la religion mormone, décline les faits et les campagnes électorales (au nombre de quatre, Milk ayant perdu les trois premières) à la manière d’un long flash-back. Or, plus que le récit d’une ascension, Black et Van Sant font le portrait d’un homme fragile mais pugnace, une planète autour de laquelle gravitent plusieurs astres, chacun ayant la fonction d’en éclairer une face différente. Smith, qui l’épaulera dans sa lutte jusqu’à la onzième heure, fait resurgir son caractère engagé, avec les sacrifices que ça suppose sur le plan intime. Cleve Jones (Emile Hirsch), que Milk va enrôler dans ses troupes, met en valeur son immense pouvoir de conviction. Jack Lira (Diego Luna), un Latino immature et efféminé, qui fut son dernier amant, met en évidence son charme, sa générosité et sa tolérance.

Mais c’est à travers Dan White (Josh Brolin, très convaincant), ex-policier tourmenté, de droite et potentiellement gai au placard, que les talents de politicien et de stratège de Milk sont les mieux communiqués. Son inconscience aussi, ce qui explique la fin brutale et prématurée du personnage que Sean Penn, très en forme et visiblement convaincu de l’utilité de l’œuvre, défend avec la dernière énergie.

  • Le sens de soi, et la façon dont on l’associe, est peut-être le cadeau le plus précieux et poétique dans l’arsenal de sa vie et de son métier.

On ne voit plus bien ce qui peut aujourd’hui arrêter Sean Penn. L’indomptable mauvais garçon des années 1980 a appris à contenir ses humeurs, pas son engagement. En parvenant toujours, par caméra interposée, à faire la part des choses entre politique et cinéma, sans jamais tomber dans la facilité de la diatribe politique. Ses films comme ses rôles sont fidèles à un idéal de vie inspiré des romans de Dostoïevski (Crime et châtiment), Bukowski ou Kerouac, le romancier du voyage.

 À son palmarès : quarante films en tant qu’acteur depuis ses débuts au cinéma en 1981, dans « Taps », et deux oscars. Le premier en 2004, pour son électrisante prestation dans « Mystic River » ; le second, cinq ans plus tard, pour « Harvey Milk ». Et six longs-métrages comme scénariste réalisateur. Un cinquième est en préparation avec « The Comedian », il dirigera Robert De Niro. « J’ai eu la chance de pouvoir gagner ma vie en tant qu’acteur, de subvenir aux besoins de ma famille. Un luxe qui me permet de passer de l’autre côté de la caméra quand j’en ai envie afin d’explorer des sujets trop souvent négligés par Hollywood à mon goût. »

Il a su maintenir un statut de star à part tout en préservant une intégrité. « Je me suis embarqué dans cette profession sans avoir la moindre foi en quiconque, lâche-t-il. Et en sachant pertinemment que c’était un business fourmillant d’escrocs de toutes sortes. Mon talent n’était pas inné. J’ai dû apprendre à le cultiver et à trouver ma voie en tant qu’artiste. »

Un personnage qui a clairement marqué le cinéma de son empreinte.

Julien Legrand – Mise à jour le 16 août 2021

  • Sources :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sean_Penn

https://www.consoglobe.com/sean-penn-star-ecolo-cg

http://citation-celebre.leparisien.fr/auteur/sean-penn

http://www.lefigaro.fr/cinema/2011/08/20/03002-20110820ARTFIG00009-sean-penn-l-indomptable.php

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