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L’art de la schizophrénie

Edward Norton 

Lorsqu’on demande aux spectateurs leurs acteurs favoris, ce n’est pas forcément le nom qui revient le plus car Edward Norton est un homme discret. Il ne fait pas la Une des magazines, ne fait pas partie des « beaux gosses » d’Hollywood (il est quand même sorti avec Salma Hayek donc respect !), encore moins des acteurs torturés. Contrairement à beaucoup de ses collègues, il est issu d’un milieu aisé et n’a pas eu à se battre contre la dureté de la vie, c’est pourtant en incarnant ce genre de personnages tourmentés qu’il excelle.

Si de prime abord, il ressemble à monsieur tout le monde mais une fois derrière la caméra il se transforme, tel « Hulk », en une toute autre personne et révèle un comédien aux multiples facettes, capable de tout jouer. Interpréter des personnalités complexes est devenu sa marque de fabrique, tantôt néo-nazi ou flic, tantôt schizophrène ou magicien, avec toujours la même intensité.

S’il n’a pas l’aura de son ami Brad Pitt ou de Leonardo DiCaprio, il fait tout de même partie des acteurs les plus talentueux de sa génération et s’illustre également derrière la caméra.

« La popularité est le petit cousin du prestige, mon ami. »

  • Petite Bio :

En plus d’être le dernier jour du mythique Festival de Woodstock, le 18 juin 1969 marque aussi la naissance d’Edward Harrison Norton à Columbia dans le Maryland, il est le dernier d’une fratrie de quatre enfants. Né d’un père avocat et d’une mère professeur, il s’épanouit dans un cadre aisé, son grand-père, James Rouse, est un des fondateurs de la ville où il grandit et en fut le maire.

Dès son plus jeune âge, il se passionne tellement pour la comédie que ses parents, qui l’ont toujours poussé dans cette voie décident de l’inscrire dans un cours de théâtre. Il monte pour la première fois sur les planches à seulement cinq ans et impressionne déjà ses partenaires et ses professeurs qui décèlent déjà en lui un grand potentiel.

Durant son adolescence, il fréquente des établissements huppés tout en continuant de pratiquer l’art dramatique, ce qui lui permet de se produire sur scène à de nombreuses reprises.

Après des études concluantes à la très prestigieuse université de Yale d’où il sort diplômé en histoire, il part à Osaka, au Japon, où il travaille comme consultant pour l’entreprise de son grand-père : l’Enterprise Foundation, qui s’occupe de trouver des logements aux familles défavorisées. Il passe deux années au pays du soleil levant, dont il maîtrise la lange à la perfection, avant de s’installer à New-York.

Peu de temps après son arrivée dans la Big Apple, Il décide de tenter sa chance comme acteur, il écume dans un premier temps les scènes dans des bars et des clubs avant d’intégrer la troupe des Signature Players et d’enfin se produire à Brodway.

Ed ne tarde pas à attirer l’attention sur lui, la chance de sa vie lui est donnée par le dramaturge Edward Albee, qui l’engage après audition pour jouer dans l’une de ses pièces, « Fragments ». Pourtant l’aventure tourne court puisqu’après une seule représentation, il est choisi pour interpréter le rôle d’Aaron Stampler dans « Peur primale ».

Le début d’une belle carrière au cinéma dont voici notre top 10 de ses meilleurs rôles.

Le Top 10 de ses plus belles performances :

10. « Dragon Rouge » (2002) de Brett Palmer :

Troisième adaptation de la série de romans à succès de Thomas Harris mettant en scène le personnage d’Hannibal Lecter, « Dragon Rouge » fait office de prequel aux cultissime « Le Silence des Agneaux ». S’il ne connaît pas le même succès que le premier volet ; il faut dire que la barre avait été placée très haute ; il s’avère plutôt réussi : moins glaçant que l’œuvre de Jonathan Demme, moins gore (à l’excès) que « Hannibal » de Ridley Scott, il se démarque par son classicisme et sa complexité.

Edward Norton s’illustre dans la peau de Will Graham, brillant profiler du FBI même s’il s’avère de plus en plus discret au fil de l’intrigue. Sa confrontation avec Anthony Hopkins est un des points d’orgue du film même si on est loin de l’alchimie entre Lecter et Clarice Starling dans le film de 1991.

9. « Brooklyn Affairs » (2019) de lui-même :

Après s’être essayé une première fois à la réalisation en 2000 avec la comédie « Au nom d’Anna », Ed remet le couvert près de deux décennies plus tard avec ce film policier qui rend hommage aux plus grands films noirs d’antan avec ses silhouettes à chapeaux dans les ruelles sombres, le club jazzy avec l’arrière-cour où on est passé à tabac, les puissants véreux… … Tout y est !

Un polar sinueux et palpitant, qui démontre le talent du comédien pour la mise en scène malgré un côté un peu trop conventionnel. Son interprétation d’un détective atteint du syndrome Gilles de la Tourette est remarquable, tout sonne juste dans son personnage : ses tics de langage, ses lapsus et ses interjections ainsi que sa candeur qui tranche avec la noirceur du récit.  

8. « Le Voile des illusions » (2006) de John Curran :

Deuxième adaptation du roman « La Passe dangereuse » de William Somerset après celle de 1934 avec Greta Garbo, le long métrage nous embarque dans un mélodrame amoureux se déroulant durant les années 1920 au cœur de la Chine profonde.

Aux côtés de Naomi Watts, éblouissante en épouse désavouée, il parvient à tirer son épingle du jeu en mari meurtri et mutique qui n’a pour seule échappatoire que son travail de médecin dans une région touchée par une épidémie de choléra où il a été muté après l’adultère de sa femme.

7. « Moonisme Kingdom » (2012) de Wes Anderson :

Une histoire de famille (dysfonctionnelle) et d’enfance sacrifiée contée sur un rythme mineur et englobée dans quête amoureuse palpitante. Le fantasque réalisateur nous emmène dans cette sorte de retour à un état sauvage conjugué à une forme d’euphorie perpétuelle qu’aucun drame ne peut entamer.

Edward Norton apparaît ici à contre-emploi aux côtés d’un parterre d’acteurs impressionnant (Bruce WillisBill Murray, etc.), il incarne le truculent chef de troupe Ward ; sorte de Baden-Powell en culottes courtes ; pour de jeunes scouts, prouvant là encore qu’il peut tout faire grâce une prestation surprenante.

(N.B. : il sera prochainement à l’affiche du nouveau Wes Anderson, « The French Dispatch »).

6. « L’Illusionniste » (2006) de Neil Burger :

Les magiciens avaient décidément la cote en 2006, pendant que Christopher Nolan épatait la galerie avec l’énigmatique et brillant « Le Prestige » où s’opposent Christian Bale et Hugh Jackman pour savoir qui est le meilleur, Norton exerce ses talents dans la peau d’un autre prestidigitateur : Eisenheim.

Dans ce film romantique à l’esthétique soignée et à l’ambiance énigmatique, il incarne son personnage avec réserve et sobriété, lui conférant une part de mystère. Un long-métrage dont le principal défaut réside finalement dans le fait qu’il soit sorti peu après le chef d’œuvre de Nolan.

5. « Birdman» (2014) d’Alejandro González Iñárritu :

Quatre Oscars, deux Golden Globe et même un César, on peut dire que « Birdman » a grandement marqué les esprits. Emmené par un casting dantesque (Michael Keaton, Emma Stone, etc.), le film d’Iñárritu se veut une critique satirique du monde dévorant du spectacle et des affres de la célébrité.

Mise en scène virtuose sous forme de long plan séquence, rythme effréné, dialogues savoureux, narration décousue, personnages délurés : de ce curieux mélange émerge un film atypique et surprenant auquel Edward Norton apporte son excellente contribution pour quelques scènes parmi les plus fortes du film, il se transforme en acteur sans concessions, jusqu’au-boutiste à l’excès et gentiment perché. Sa coolitude contraste avec la noirceur de l’anti-héros Keaton tandis que sa relation avec le personnage de Zach Galifianakis (« Very Bad Trip ») déclenche des scènes burlesques à mourir de rire. Un rôle étonnant pour un film déroutant.

4. « Peur Primale » (1996) de Gregory Hoblit :

Âgé de 25 ans, Ed cherche à se faire un nom à Brodway mais le destin à semble-t-il d’autres projets pour lui : après l’audition de plus de deux mille postulants (parmi lesquelles DiCaprio), il est choisi pour interpréter le rôle d’Aaron Sampler dans « Peur primale » aux côtés de l’acteur en vogue Richard Gere. Un petit polar, certes, mais un rôle formidablement écrit, ambigu et inquiétant, dont Norton saisit toutes les nuances et éclipse sans ménagement son partenaire.

Encore méconnu du public, le jeune acteur impressionne par la facilité déconcertante avec laquelle il passe d’une personnalité à l’autre : d’abord timide, réservé, et en manque d’assurance, il finit par montrer sa vraie nature et devient au contraire assuré, vif, presque effrayant. Son personnage psychologiquement instable illumine l’écran, il est fascinant de voir s’affirmer derrière l’écran son jeu déjà parfaitement équilibré. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître, salué comme il se doit par une nomination aux Golden Globes.

3. « La 25ème Heure » (2002) de Spike Lee :

Juché devant un miroir, Monty Brogan se lance dans un monologue acerbe où il dézingue à tout va la société new-yorkaise, des portoricains aux mafieux russes en passant par les « brokers » de Wall-Street et, plus important encore, lui-même. S’apprêtant à purger une peine de sept années de prison pour trafic de stupéfiant, il tire les conclusions de la première partie de sa vie, et savoure ses dernières heures de liberté.

Avec cette adaptation cinématographique du roman « 24 heures avant la nuit » de David Benioff (également scénariste), le cinéaste engagé Spike Lee réussit à livrer un film poignant et âpre, illustrant de manière viscérale le compte à rebours d’une journée qui va bouleverser l’existence de plusieurs personnages dans un New-York meurtri, post 11 septembre.

Edward Norton porte le film d’une puissance tragique impressionnante : le comédien habite littéralement cet ancien roi à terre, oiseau noir au bon fond tiré en plein vol quand d’autres bien pires se sont extirpés du viseur du chasseur. Il parvient à rendre ce voyou peu recommandable touchant et presque sympathique dans sa quête rédemptrice.

2. « American History X » (1998) de Tony Kaye :

Seulement deux ans après ses débuts fulgurants, l’acteur connaît déjà la consécration : pour le premier film de Tony Kaye, il s’avère ultra crédible dans la peau de Derek Vinyard qui a rejoint le mouvement skinhead néo-nazi suite à l’assassinat de son père par un afro-américain. Un homme aux perspectives étroites, brouillées, qui pourtant va rencontrer la tolérance au détour d’un séjour en prison et va tout faire pour sauver son jeune frère Danny (Edward Furlong).

Époustouflants de charisme et de justesse. Edward Norton est méconnaissable en fasciste baraqué : tatouages racistes dont la fameuse croix-gammée sur le pectoral, crâne rasé et violence verbale… Il montre à nouveau tout son talent pour incarner des âmes tourmentées et rend l’évolution de son personnage plausible grâce à une large palette d’émotions : il est aussi à l’aise pour incarner la haine féroce que pour révéler toute la sensibilité et la bonté de Derek.

Bien aidé par la profondeur du sujet et un scénario bien ficelé auquel les flashbacks en noir et blanc donnent plus de force, sa performance lui vaut une nomination à l’Oscar du « meilleur acteur ». A travers des scènes parfois très violentes, il nous montre l’étendue des ravages que la haine de l’autre peut causer, les erreurs qu’elle peut nous pousser à commettre et qu’avec elle, on ne peut jamais avancer, mais uniquement reculer.

1.« Fight Club » (1999) de David Fincher :

En 1999, Edward Norton est engagé par David Fincher pour le cultissime « Fight Club ». Une œuvre extrémiste, corrosive et inventive qui divise la critique et le public à sa sortie. Un joli flop au Box-Office qui deviendra finalement un film culte grâce à sa sortie en vidéo. Un film coup de poing dans lequel son personnage, narrateur anonyme à la voix off dépressive et au regard tourmenté, se laisse entraîner dans une spirale infernale par Tyler Durden, un séduisant penseur anarchique interprété par Brad Pitt.

L’acteur est incroyable dans ce rôle qui lui va à merveille : celui d’un homme désabusé, enfants du consumérisme, d’une course effrénée à la réussite et au bonheur matériel, vivant sa vie en pilotage automatique, faisant bien sagement ce que la société attend de lui jusqu’au jour où il rencontre celui qui va l’aider à fuir son triste quotidien pour les combats clandestins. Il forme un duo parfait avec son compère pour prôner le retour au tribal en créant le Fight Club, une secte aux ramifications nationales dans laquelle les rebuts de la société se transforment en anarchistes.

Aussi hilarante qu’effrayante, la séquence où le personnage se bat avec lui-même dans le bureau de son patron résume bien sa performance hallucinante dans un film qui l’est tout autant. « Fight Club » est une œuvre visionnaire, une critique frontale de la société de consommation qui résonne encore vingt ans après et reste plus que jamais d’actualité… comme s’il avait vu venir avec lucidité la tournure qu’allait prendre notre monde.

Une allégorie désespérante d’une société sans repère. Magistral !

Loin d’être une superstar, Edward Norton est un homme tout ce qu’il y a de plus normal, ou presque… derrière une apparente discrétion se cache un acteur capable de matérialiser des personnalités variées avec une aisance déconcertante, une justesse infaillible, un charisme à toutes épreuves et une narration habile et efficace dont il est coutumier. Bref, un des plus grands talents du cinéma moderne.

Des qualités qui lui ont rapidement valut la reconnaissance de ses pairs, attirant sur lui les regards de cinéastes renommés comme Woody Allen, Miloš Forman, Spike Lee, Alejandro Iñárritu, Wes Andersson et surtout David Fincher qui lui a offert LE rôle de sa vie. Capable de tout jouer, il se révèle également à son aise derrière la caméra, montrant à nouveau son incroyable capacité d’adaptation.

Un acteur hors-norme qui cache bien son jeu !

Pouvaient aussi être cités :

  • « L’Incroyable Hulk » de Louis Leterrier (2008)
  • « Larry Flynt » de Miloš Forman (1996)
  • « Les Joueurs » de John Dahl (1998)
  • « The Score » de Frank Oz (2001)
  • « Au nom d’Anna » de lui-même (2000)
  • « Beauté Cachée » de David Frankel (2016)

Damien Monami – Le 18 août 2020.

Sources Photos : 

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