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Le chant du cygne

Gran Torino

Dans le petit monde « Impitoyable » du cinéma, Clint Eastwood tient une place de choix. Avec une carrière longue comme le bras, ce touche à tout multi-récompensé a marqué l’histoire du 7ème art au fer rouge que ce soit d’abord en tant qu’acteur puis en tant que réalisateur.

 

Avec les rôles d’anti-héro qui lui collaient à la peau, il s’est imposé comme une figure emblématique du western, genre qu’il a exploré de long en large. Impossible de ne pas citer la « Trilogie du dollar » de Sergio Leone qui l’a révélé au monde entier, il y est magistral dans la peau de l’homme sans nom notamment. Le far west est son terrain de jeu privilégié : « L’Homme des Hautes Plaines » ou « Pale Rider » ne feront que le confirmer.

Mais « Dirty Harry » ne se contente pas d’être un brillant acteur, il porte aussi à merveille le costume de réalisateur. De son premier long-métrage derrière la caméra avec « Un frisson dans la nuit » à aujourd’hui, il nous a offert une pléiade de grands films le plaçant parmi les plus grands, avec entre autres « Sur la route de Madison »« Un jour parfait » ou encore le polar culte « Mystic River ».

 

Après une longue absence à l’écran, il revient sur le devant de la scène en 2009 avec le drame « Gran Torino » pour lequel il reprend sa double casquette d’acteur et de réalisateur pour la première fois depuis « Million Dollar Baby »

Un rôle taillé sur mesure pour Clint Eastwood et un scénario original, ce « Gran Torino » a tout ce qu’il faut pour convaincre !

Résumé :

Walt Kowalski, un vétéran de la guerre de Corée, vient de perdre sa femme qui, avant de mourir, lui demande de se confesser. Mais le vieil homme n’a rien à avouer, ni personne à qui parler. Misanthrope, bougon et raciste, il veille jalousement sur sa Ford Gran Torino, râlant sans cesse contre les habitants de son quartier, en majorité d’origine asiatique. Son unique compagnie est sa chienne, Daisy. Un jour, son jeune voisin, Thao, tente de lui voler sa voiture sous la pression d’un gang. Walt s’aperçoit bientôt que l’adolescent est littéralement harcelé par les jeunes caïds. Prenant la défense de Thao, Walt devient malgré lui le héros du quartier…

(Télérama)

C’est en pleine post production de son projet « L’Échange » que le script de Gran Torino arrive entre les mains de l’ami Clint. Écrit par Nick Schenk, il s’inspire de son expérience aux côtés d’ouvriers hmong ; peuple originaire d’Asie du sud-est marqué par la Guerre du Viêt Nam ; qu’il a côtoyés dans des usines, il décide d’écrire une histoire impliquant un vétéran de la guerre de Corée, nommé Walt Kowalski, dont les nouveaux voisins sont une famille hmong.

Dans un objectif d’authenticité, Eastwood décide de faire appel à de vrais hmong. A la suite d’auditions organisée au sein de cette communauté, ce sont les jeunes Bee Vang (Thao) et Ahney Her (Sue) qui sont choisis pour les rôles principaux.

Le rôle de Walt Kowalski est taillé sur mesure pour le vieux cow-boy californien, un vétéran quelque peu aigri de la guerre de Corée, taiseux et irascible, il ne s’exprime presque qu’à travers ses grognements. Sa femme décédée était jusque là la seule personne, hormis sa chienne Daisy, à laquelle il pouvait se raccrocher, ses deux fils sont comme des étrangers pour lui, il méprise leur égoïsme latent tout comme il méprise ses petits-enfants irrespectueux (on ne peut lui donner tort).

Et pour couronner le tout, il doit cohabiter avec des voisins d’origine hmong, des « niaks » comme il les appelle, qui font resurgir en lui de vieux démons de son époque militaire. Eastwood est plus que convaincant dans ce rôle d’américain primaire, raciste au plus haut point (un comble pour un polonais d’origine).

Il crève l’écran dans cette partition qui n’est pas loin d’être la meilleure de sa fructueuse carrière, il démontre encore une fois sa faculté à s’adapter aux personnages qu’il incarne sans sourciller, en un regard noir lancé vers l’assistance aux funérailles de son épouse, il parvient à capter notre attention et impose son personnage sans broncher. 

C’est déjà un coup de maître en soit de nous faire apprécier un homme aussi imbuvable que Walt Kowalski avec autant d’aisance, seule les plus grands cinéastes dont il fait partie ont cette capacité, on se prend littéralement d’affection pour cet être misanthrope et ses punchlines bien senties.

Son jeu d’acteur est d’une telle qualité que ses comparses à l’écran se mettent au diapason, ils se bonifient au contact de ce grand monsieur ou, du moins, si défaut il y a, la présence charismatique de Clint Eastwood occulte ceux-ci. Mais cette focalisation sur son acteur principal peut aussi être un des rares point faible du film, même s’il est important de souligner que le reste du casting est composé en majorité de novices en la matière contrairement à ses précédents films dans lesquels il y avait plus de répondant (Morgan FreemanGene HackmanHillary Swank).

« Gran Torino » est un film aux multiples facettes, passant allègrement de situations dramatiques à des scènes qui prêtent à sourire, parfois en l’espace de quelques secondes, certains passages allient même les deux, comme celui où son fils accompagné de son épouse viennent fêter son anniversaire, si elle peut paraître cocasse en apparence, elle souligne dans le même temps le fossé qui se creuse entre le père et le fils. 

Eastwood passe une grande partie du film à prendre le spectateur à contre pied, il rassemble dans un premier temps tous les clichés d’un film manichéen pour habilement s’en défaire par la suite.

L’œuvre propose différents niveaux de lecture, derrière cette histoire de vétéran de la guerre de Corée c’est aussi celle d’un mythe du cinéma américain qui fait preuve d’autodérision, répondant à ses détracteurs, exagérant toutes les tares qui lui ont été attribuées et les faisant une à une voler en éclats mais créant aussi un personnage, sorte de condensé de tous ceux qu’il a précédemment interprétés. Souvent des hommes en marge, solitaires, sortes de cowboys intemporels. Et ce Kowalski  ressemble un peu à l’entraîneur de « Million Dollar Baby », lui aussi fâché avec sa famille et la religion. Mais aussi à « L’Inspecteur Harry », personnage radical et justicier, un marginal qui va pourtant se prendre d’affection pour des personnages aux antipodes de ses convictions.

Enfin, comment de pas voir de similitudes avec son dernier western « Impitoyable », cet homme cynique, hanté par ses souvenirs n’est pas sans rappeler William Munny avec qui il partage de nombreux traits de caractères, la trame principale des deux films est quant à elle assez semblable.

Néanmoins, si Walt Kowalsky ressemble à s’y méprendre à ses prédécesseurs, il finit toujours par s’en éloigner, comme si Clint Eastwood cherchait à faire renaître via son personnage principal les rôles phares de sa carrière tout en tenant compte de l’évolution de la société. « Gran Torino » est en cela le film le plus abouti de sa carrière de metteur en scène, il nous entraîne souvent là où on ne l’attend pas.

Bien sûr, un film de Clint Eastwood ne serait pas le même sans la notion de rédemption qui lui est chère. Cet homme en marge va finir par réparer ses fautes avec sa Gran Torino pour emblème. On se doute que l’affection qu’il porte à ce gosse, sorte de fils qu’il n’a jamais eu, va lui permettre de se racheter, que son honneur sera sauf. Mais ce qui fait la force de l’octogénaire, c’est sa propension à aller à l’encontre de ce qui est attendu, de bouleverser l’ordre établi. Il parvient à offrir une œuvre d’une grande richesse à partir d’une histoire qui aurait pu se révéler banale.

Techniquement, il n’y a rien à redire, son travail de réalisateur est remarquable : un excellent cadrage et une mise en scène permettant de réellement rentrer dans l’intimité des personnages et de leurs émotions sans en altérer l’authenticité.

 

Ce film dans lequel se confondent fiction et réalité sonne comme un ultime chant du cygne pour cette légende vivante (même s’il est encore apparu une dernière fois à l’écran dans « Une nouvelle chance » en 2012) et il en faut sous le capot pour faire par le biais d’un film une sorte de bilan sur sa propre carrière. Le plan final au soleil couchant fait d’ailleurs écho à la réalité de son acteur/réalisateur qui est au crépuscule de sa carrière, qu’on le veuille ou non. 

« Gran Torino » est un vrai bijou cinématographique, tant sur le fond que sur la forme, qui ne fait que confirmer, s’il le fallait encore, l’immense talent du bonhomme. Il livre peut-être son œuvre la plus aboutie comme metteur en scène, ce qui n’est pas une mince à faire vu la qualité de sa filmographie. Un film irrésistible et poignant.  Une belle leçon d’espoir, de vie, d’humilité. Et de cinéma…

 

Note: 9,5/10

 

Damien Monami – 08 Mai 2018

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