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Les oubliés de Noël

Winter Break

Comme chaque année en cette période de fêtes, le cinéma se met au diapason de la féérie ambiante avec la sortie de l’un ou l’autre film de Noël, pour le meilleur et, bien souvent, pour le pire. L’année 2023 ne déroge pas à la tradition et celui dont tout le monde parle, c’est « Winter Break ».

Pressenti dans la course aux Oscars, cette comédie douce-amère au style rétro est le succès inattendu de cette fin d’année. Porté par l’éternel second-rôle Paul Giamatti, le huitième long-métrage d’Alexander Payne se démarque des habituels récits sur l’esprit de Noël en s’intéressant, une fois n’est pas coutume, aux oubliés du réveillon.

Notre avis sur ce film peu banal.

Critique « Winter Break » (2023) : Les oubliés de Noël - ScreenTune
© 2023 FOCUS FEATURES LLC. ALL RIGHTS RESERVED

Synopsis :

Hiver 1970, Pédant et bourru, M. Hunham, professeur d’histoire ancienne dans un prestigieux lycée d’enseignement privé pour garçons de la Nouvelle-Angleterre, n’est apprécié ni de ses élèves ni de ses collègues. Alors que Noël approche, il est prié de rester sur le campus pour surveiller la poignée de pensionnaires consignés sur place. Il n’en restera bientôt qu’un : Angus, un élève aussi doué qu’insubordonné. Trop récemment endeuillée par la mort de son fils au Vietnam, Mary, la cuisinière de l’établissement, préfère rester à l’écart des fêtes. Elle vient compléter ce trio improbable.

Réalisateur connu pour ses comédies sociales et sa propension à mettre en avant des individus lambdas, Alexander Payne signe son retour de la plus belle des manières, après le décevant « Downsizing » (2017), en proposant un film de Noël aux antipodes des nanars télévisuels pleins de bons sentiments et clichés à souhait que l’on nous sert à la pelle depuis deux mois. Aussi rafraîchissant que mélancolique, « Winter Break » pose un regard singulier sur cette période des fêtes qui peut s’avérer bien morose pour ceux qui se retrouvent esseulés.

Critique « Winter Break » (2023) : Les oubliés de Noël - ScreenTune
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Coincés dans l’immensité de vide qu’est le lycée Barton privé de ses occupants, Paul Hunham, un professeur aigri et Angus Tully, un élève turbulent, que tout semble opposer, vont devoir cohabiter deux longues semaines et apprendre à mieux se connaître. Ce duo improbable, bientôt rejoint par Mary, cuisinière endeuillée, se révèle aussi truculent que touchant – entre les traits d’esprit de l’un et la fougue de l’autre, une drôle d’alchimie se crée malgré des rapports parfois tendus, un peu comme dans une relation père/fils. Pour canaliser ces deux caractères forts, Mary apporte toute sa douceur et sa bienveillance, elle est le socle sur lequel repose cette famille improvisée. C’est une femme sage mais franche qui offre des perspectives révélatrices que Paul et Angus ont désespérément besoin d’entendre.

Payne aime manifestement ce trio inhabituel et il accorde beaucoup d’attention à l’évolution de chaque personnage. Il prend le temps de décortiquer leurs histoires individuelles, que le scénariste David Hemingson expose avec force et détails personnels. Tous deux font un excellent travail pour définir ces personnalités distinctement différentes mais merveilleusement complémentaires.

Critique « Winter Break » (2023) : Les oubliés de Noël - ScreenTune
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Cette alchimie est possible grâce à un trio de performances fantastiques qui sont à la fois drôles, profondément émouvantes et pleines de tendresse. Paul Giamatti excelle dans le rôle d’homme solitaire et peu commode que la vie à rendu maussade. Il est hilarant, avec ses insultes verbeuses, son œil paresseux toujours en mouvement et son air méchant qui semble inébranlable. Pourtant, quand on gratte un peu sa carapace, il est impossible de ne pas éprouver de la compassion pour ce personnage. Payne offre un rôle sur mesure à celui qu’il a dirigé vingt ans auparavant dans  « Sideways », pour une performance majuscule qui promet la consécration à cet acteur trop souvent cantonné aux seconds rôles.

Dans le rôle de Mary, dont la douleur liée à la perte récente de son fils est perceptible dans chaque scène, Da’Vine Joy Randolph est tout aussi formidable. Elle n’a pas autant de temps que les deux protagonistes du film, mais elle est capable d’en dire beaucoup en disant peu de mots, en particulier dans une scène déchirante où elle affronte son passé tout en regardant vers l’avenir. Enfin, comment ne pas évoquer la performance saisissante du jeune novice Dominic Sessa – repéré sur le lieu du tournage – dont l’énergie contagieuse cache un cœur sensible.

Critique « Winter Break » (2023) : Les oubliés de Noël - ScreenTune
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Un autre atout de « Winter Break » est qu’il offre une immersion savoureuse dans une ambiance seventies parfaitement retranscrites, aussi bien au niveau du décorum – allant même jusqu’à reprendre l’ouverture à l’ancienne d’Universal – que du contexte à la fois désinvolte et anxieux de l’époque. Derrière l’apparente insouciance, l’Amérique que Payne met en scène est occupée à panser ses plaies, outre celle du conflit qui s’enlise au Vietnam avec son lot de victimes – morts ou marqués à vie – il est aussi question des inégalités sociale sur fond de racisme, du poids des élites et de l’absurde méritocratie incarné par ce lycée réservé aux plus nanti.

Malgré ses qualités indéniables, « Winter Break » souffre de certaines longueurs dont on se serait volontiers passé, notamment dans une première demi-heure où l’intrigue tarde à se mettre en place. Mais une fois que le trio prend forme et que les personnalités de chacun sont clairement définies, on est happé par un scénario savoureux et émouvant. Un autre défaut, qui n’en est pas vraiment un, c’est ce titre « français » – étrange habitude qui consiste à traduire un titre en anglais… par un autre titre en anglais – il n’est pas du tout en adéquation avec le titre original « The Holdovers » qui signifie « ceux qui restent » et qui exprime parfaitement le contexte du film.

Critique « Winter Break » (2023) : Les oubliés de Noël - ScreenTune
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A une époque dominée par les franchises et les blockbusters, « Winter Break » nous montre qu’il y a encore la place pour un cinéma authentique et réfléchi, dans la pure lignée de ce qui se faisait dans les années septante à l’apogée du nouvel Hollywood.

Porté par un scénario limpide, une mise en scène élégante et des acteurs époustouflants, « Winter Break » est sans conteste l’une des plus belles réussites de l’année qui se conclut. Un film tout en douceur, fondant et croustillant, qui se déguste comme une bûche de Noël, sans pour autant déborder de bons sentiments qui l’aurais rendu indigeste.

NOTE :

0 /10

Drôle, pertinent, subtil et touchant, « Winter Break » est assurément le film de cette fin d’année… et du début de la suivante. Connu pour son cinéma humaniste et engagé, Alexander Payne, réalisateur de « Sideways » et de « The Descendants », signe son meilleur film depuis l’excellent « Nebraska » sorti il y a déjà une décennie.

De quoi offrir un peu de réconfort en cette période trouble.

Damien Monami – Le 31 décembre 2023

Sources Photos : 

© 2023 FOCUS FEATURES LLC

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