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Quand Chucky rencontre Toy Story !

Small Soldiers 

Principalement connu pour la réalisation de « Gremlins » et de sa suite, deux excellents films (oui oui même le deuxième), Joe Dante possède une filmographie à faire rougir plus d’un cinéaste. Pourtant, l’un des cinéastes favoris de Steven Spielberg n’a pas la même aura que le cinéaste de « Jurassic Park ». On peut même dire que le réalisateur de « L’Aventure Intérieure » est même tombé dans l’oubli depuis un moment, ne réalisant que par intermittence des épisodes des « Experts », de « Hawaii 5-0 » et de « Salem ».

Absent de nos écrans de cinéma depuis le décevant « Burying the Ex » en 2014, Joe Dante possédait cet amour passionné de la Pop Culture à travers un humour grinçant, une culture exceptionnelle de la télévision et des codes soutenu par un ton irrévérencieux qui lui sied à merveille.

En 1998, après des échecs successifs dans la réalisation de plusieurs longs métrages, Joe Dante repasse derrière la caméra 5 ans après son dernier film (« Panic sur Florida Beach » en 1993) pour « Small Soldiers » à la demande de Steven Spielberg.

Un film trop sous-estimé et mal-aimé qui rapporta plus de 54 millions de dollars au Box-office international (seulement 14 millions aux USA). Malgré sa production chaotique, « Small Soldiers » est depuis considéré comme un film culte pour bons nombre de cinéphiles.

Retour sur une œuvre mésestimée et conspuée à sa sortie.

Critique « Small Soldiers » (1998) : Quand Chucky rencontre Toy Story ! - ScreenTune
© 1998-Dream Works LLC & Universal Pictures

Synopsis :

Lorsque la technologie des missiles est utilisée pour améliorer les figurines, les jouets prennent rapidement trop au sérieux leur entraînement de combat.

  • L’Enfer de Dante :

Comme mentionné plus haut, avant de recevoir la proposition de Steven Spielberg pour réaliser « Small Soldiers », Joe Dante est en pleine tourmente, le metteur en scène n’a en effet plus rien réalisé pour le grand écran depuis 1993 avec « Panic sur Florida Beach », véritable four à sa sortie en salle malgré des critiques positives.

Le cinéaste est abonné à la réalisation d’épisodes de séries TV comme « Marshall et Simon » en 1991 et 1992 pour laquelle il met en scène 5 épisodes, « Picture Windows » en 1995 et un téléfilm « Runaway Daughters ». Joe Dante se fait même piquer son idée de film « Termite Terrace » par Warner Bros qui le transforma en « Space Jam » en 1996 avec le succès que l’on connait.

La vie n’est pas rose mais par chance, Steven Spielberg via sa société « Amblin Entertainment » met la main en 1992 sur le scénario de Gavin Scott (scénariste des « Aventures du jeune Indiana Jones ») et cherche un réalisateur pour mettre en scène cette histoire d’un adolescent qui tente de protéger des jouets monstrueux d’autres jouets militaires prêts à tout pour les détruire.

Un terrain de jeu idéal pour le cinéaste derrière « Gremlins » qui va pouvoir y ajouter sa patte fétiche. Du moins c’est que l’on croyait sans l’intervention de DreamWorks et Hasbro

Critique « Small Soldiers » (1998) : Quand Chucky rencontre Toy Story ! - ScreenTune
© 1998-Dream Works LLC & Universal Pictures
  • On ne plaisante pas avec des jouets ! :

Joe Dante est réputé pour ajouter dans ses œuvres des éléments horrifiques comme on a pu le voir dans les deux volets de « Gremlins » et dans « Hurlements » en 1981, mais lorsque le cinéaste s’empare du scénario de Gavin Scott, il le modifie pour y ajouter sa touche personnelle. Des éléments que le studio DreamWorks ne va pas du tout apprécier.

« Small Soldiers » s’est avéré être un sacré défi pour le metteur en scène, Joe Dante a voulu y développer quelques éléments qui n’étaient pas destinés à un jeune public. Celui-ci a été obligé d’adoucir le contenu suite aux mécontentements du studio et de ses partenaires comme Hasbro et Burger King.

Le résultat donne une œuvre qui comporte encore des touches sombres qui s’opposent à ce ton plus enfantin recherché par la production comme le mentionne le réalisateur dans une interview : « À l’origine, on m’avait demandé de faire un film nerveux pour les adolescents, mais quand les sponsors sont arrivés, le nouveau mot d’ordre était de l’adoucir pour en faire un film pour enfants. Il s’est avéré qu’il était trop tard et que le film comportait des éléments des deux approches. Juste avant la sortie, il a été purgé au montage de beaucoup d’explosions et d’action ».

Critique « Small Soldiers » (1998) : Quand Chucky rencontre Toy Story ! - ScreenTune
© 1998-Dream Works LLC & Universal Pictures

Malheureusement ces deux facettes de l’œuvre de Joe Dante n’ont pas plu à Burger King qui avait accepté de promouvoir le film en vendant des jouets dans des menus pour enfants, hors le film a été classé PG-13 ce qui a déplu à la marque de fast-food.

Lors de sa sortie, le film a également souffert de l’actualité dans l’état de l’Oregon lorsqu’un jeune adolescent, Kip Kinkel, a tué ses parents, puis s’est livré à une fusillade au lycée Thurston de Springfield, tuant deux élèves et en blessant 25. Cela a malheureusement eu un effet néfaste sur le long métrage de Dante puisque l’une des figurines des Commandos d’élite se nomme Kip Killigan dans le film. Conséquence logique, Hasbro n’a pas distribué le jouet dans l’Oregon.

Critique « Small Soldiers » (1998) : Quand Chucky rencontre Toy Story ! - ScreenTune
© 1998-Dream Works LLC & Universal Pictures
  • Des méchants jouets :

Trois ans seulement après « Toy Story », qui avait su charmer petits et grands par ses effets révolutionnaires et son histoire touchante à travers les aventures du Ranger de l’espace Buzz l’Éclair et de Woody le cow-boy, il était difficile pour « Small Soldiers » d’exister après un tel raz-de-marée au Box-Office. La comparaison entre des jouets fidèles à leur propriétaire et des jouets qui désirent en exterminer d’autres quitte à détruire tout sur leur passage s’avérait d’autant plus dangereuse.

DreamWorks va d’ailleurs utiliser des images de synthèse pour montrer des jouets prenant vie dans le monde réel tout en semant la pagaille dans leur sillage pour arriver à leurs fins. Pour donner vie aux jouets, l’inimitable Stan Winston (derrière les effets spéciaux de « Jurassic Park »), et son équipe ont rencontré Hasbro pour mieux comprendre le fonctionnement des jouets.

Joe Dante ajoute même que : « Nous avions prévu d’utiliser beaucoup de marionnettes de Stan Winston. Il avait fabriqué des marionnettes très élaborées qui pouvaient faire beaucoup de choses, mais en pratique, nous avons constaté qu’il était beaucoup plus simple et moins cher de laisser les personnes chargées des images de synthèse faire le travail après avoir tourné les scènes, donc je dirais que c’est un tiers de marionnettes et le reste d’images de synthèse, même si l’idée initiale était de faire surtout des marionnettes. »

Critique « Small Soldiers » (1998) : Quand Chucky rencontre Toy Story ! - ScreenTune
© 1998-Dream Works LLC & Universal Pictures

À l’origine, Joe Dante voulait que les acteurs de « Predator » interprètent le Commando d’élite. Arnold Schwarzenegger incarnerait Chip Hazard, Shane Black en Kip Killagin, Carl Weathers en Butch Meathook, Jesse Ventura en Brick Bazooka, Sonny Landham en Nick Nitro et Bill Duke en Link Static.

Curieusement, Joe Dante a fait appel au casting du film « Les Douze Salopards » encore en vie (Ernest Borgnine, Jim Brown, Clint Walker et George Kennedy) pour interpréter les voix du bataillon des Commando d’élite, avec l’excellent Tommy Lee Jones dans le rôle de leur chef, Chip Hazard.

Pour donner vie à la racaille Gorgonites, le cinéaste donne les rôles aux stars de « Spinal Tap », Harry Shearer, Christopher Guest et Michael McKean en compagnie de Skeletor des « Maître de l’Univers », Frank Langella, dans le rôle de leur noble chef, Archer.

Critique « Small Soldiers » (1998) : Quand Chucky rencontre Toy Story ! - ScreenTune
© 1998-Dream Works LLC & Universal Pictures

Sarah Michelle Gellar et Christina Ricci sont également hilarantes dans le rôle des poupées Barbie Gwendy qui sont clonées tels des créatures de Frankenstein pour servir dans le Commando d’élite. Certains des éléments les plus sombres de Dante sont particulièrement mis en évidence à travers l’horreur corporelle des Barbies avec notamment de nombreuses cicatrices et des ciseaux en guise de mains. Pas étonnant que les jouets qui devaient être commercialisés par Hasbro et Burger King aient rebuté les partenaires du film comme les parents. Les enfants n’étaient pas prêts à ça !

  • Et si un film pour enfants souvent négligé était en fait l’un des grands films anti-guerre américain ?

Ainsi, un film qui dépeint des jouets en plastique représentant des militaires stoïques au crâne rasé avec un cigare en bouche, qui ont longtemps été les héros décomplexés de grands films de guerre et d’action (« Predator », « Rambo »…), comme des fous furieux prêts à détruire et tuer tout ce qui se trouve sur leur chemin, y compris les femmes et les enfants, contredit la façon dont on nous apprend à voir l’autorité.

« Small Soldiers » explore et contredit les incroyables dommages psychologiques et culturels causés par le fait de grandir avec le message omniprésent selon lequel : une armée interventionniste, lourdement équipée et financée, ainsi qu’une force de police autoritaire qui enfreint les règles, sont les pierres angulaires d’une société civilisée fonctionnelle, et non son antithèse.

Critique « Small Soldiers » (1998) : Quand Chucky rencontre Toy Story ! - ScreenTune
© 1998-Dream Works LLC & Universal Pictures

Dans « Small Soldiers », les militaires incarnées par le Commando d’élite sont des sociopathes assoiffés de sang et les poupées Barbie sont des monstres de Frankenstein presque nus ou des robots ressemblant à Terminator, qui débitent des slogans ineptes d’une voix joyeuse tout en essayant de tuer, dominer et détruire.

Dans cette nouvelle vue subversive, nos petits amis en plastique sont devenus nos ennemis jurés et leurs soi-disant messages sur les merveilles de la conformité et le nécessaire recours à la violence ne sont plus des abstractions mais des questions de vie ou de mort.

Joe Dante montre aux spectateurs la façon dont les jouets d’action normalisent la soif de guerre de notre culture et cela ne fait que renforcer le message d’une œuvre qui paraît bien plus subtile qu’elle n’y paraît.

Critique « Small Soldiers » (1998) : Quand Chucky rencontre Toy Story ! - ScreenTune
© 1998-Dream Works LLC & Universal Pictures

Comme son modèle et ami Steven Spielberg, le cinéaste de « Gremlins » va également au-delà de « Jurassic Park » dans sa critique diégétique avec « Small Soldiers » : le véritable méchant du film n’est pas un grand-père incompris au rêve trop ambitieux comme John Hammond, mais l’ensemble du complexe militaro-industriel.

Dans un monde où Amazon travaille avec le Pentagone et où Disney veut posséder tous les studios de cinéma et toutes les franchises de la Pop Culture, la critique de Joe Dante sur la monopolisation des multinationales résonne encore plus aujourd’hui qu’en 1998 dans « Small Soldiers ».

Le film est cabotin au possible, mais c’est une œuvre pleine de générosité, de grands moments iconiques que les critiques n’ont pas considérée car elle passait après plein d’autres grands films. Les personnages-jouets sont si amusants et il est clair que beaucoup de plaisir et de réflexion ont été mis dans la création de chacun d’entre eux. C’est encore mieux lorsque ces jouets militaires commencent à fabriquer leurs propres machines, qu’il s’agisse d’un véhicule de combat ou des Barbies qui prennent vie. Un vrai régal !

Critique « Small Soldiers » (1998) : Quand Chucky rencontre Toy Story ! - ScreenTune
© 1998-Dream Works LLC & Universal Pictures

« Small Soldiers » n’est peut-être pas inclus dans la conversation sur les grands films de guerre, il est peut-être temps de l’inclure dans les débats. « Small Soldiers » critique l’appareil militaire américain en déplaçant les lignes de front des champs de bataille historiques vers la maison de banlieue, en se concentrant sur la normalisation culturelle de la guerre plutôt que sur la guerre elle-même.

Tout comme il l’avait fait avec « Gremlins », Dante localise la zone de combat cachée dans chaque foyer américain. Des armes potentielles, du broyeur d’ordures aux tronçonneuses en passant par les poupées Barbie, se cachent dans chaque recoin. La boîte à outils de papa peut devenir une chambre de torture. Un CD des Spice Girls peut devenir un instrument de guerre psychologique. Chaque soc de charrue est une épée déguisée.

En la rendant terriblement commune et familière, « Small Soldiers » évite de rendre la guerre glamour, révélant les horreurs cachées dans nos propres maisons. Il est peut-être temps de prendre ce film soi-disant pour enfants au sérieux.

Tout le reste n’est, après tout, qu’un jouet.

Note : 8/10

« Small Soldiers » a tout pour plaire : un méchant jouet monstrueux du nom de Chip Hazard, dont la voix est interprétée par Tommy Lee Jones, des performances excessives de David Cross, Kevin Dunn et de la jeune Kirsten Dunst, et une bataille d’esprit entre deux races de jouets qui s’affrontent.

Julien Legrand – Le 21 mars 2022

Sources Photos :

  • © 1998-Dream Works LLC & Universal Pictures

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