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Un film à plusieurs inconnues.

Pi

Après quelques courts et deux années avant de nous offrir son adaptation étourdissante de « Requiem for a Dream » d’Hubert Shelby Jr., Darren Aronofsky avait marqué les esprits avec son premier long-métrage, réalisé alors qu’il n’a que 26 ans.

Tourné fin 1996 avec un budget minime de 60.000 dollars (et autant pour la post-production), « Pi », fut consacré par le Prix de la mise en scène à Sundance en 1998 et décrocha une vingtaine d’autres prix et nominations (National Board of Review, Independent Spirit Awards, Gotham Awards…).

Le succès fut non seulement critique, mais également public, puisqu’il engrangea des recettes vingt-cinq fois supérieures à son budget, rien que sur le territoire américain.

Synopsis :

Max Cohen est un jeune mathématicien surdoué qui cherche partout des séquences prévisibles de chiffres. Vivant seul, il analyse la suite des décimales du nombre π.

Scénarisé par le cinéaste sur base d’une histoire co-écrite par lui-même, le comédien Sean Gulette (qui tient le rôle principal) et Eric Watson (son producteur), le film nous plonge dans l’univers de Max Cohen, un jeune mathématicien asocial, surdoué et obsessionnel, qui est convaincu que chaque composante de l’univers obéit à des lois précises et immuables et que celles-ci peuvent être transcrites en équation, le nombre π étant la clef du savoir universel. Il s’est donc donné pour mission de « percer » le secret de ce dernier, analysant sans relâche la suite de ses décimales grâce à un puissant ordinateur qu’il a lui-même fabriqué et qui occupe la plus grande partie de son appartement.

Si ses travaux suscitent l’intérêt de son ancien directeur de thèse ayant, lui, abandonné l’idée de trouver une séquence parmi les décimales de π (un personnage campé par le formidable Mark Margolis), ils provoquent également la convoitise de certains de ses contemporains, dont un puissant groupe de Wall Street qui tente d’acheter ses compétences en espérant qu’il puisse parvenir à « prédire » les évolutions boursières sur base de ses analyses, ainsi qu’un groupe de Juifs orthodoxes qui pensent que la Torah, lorsqu’on la représente avec des nombres à la place des lettres, contient le vrai nom de Dieu…

Pour incarner ce premier rôle, Aronofsky fait appel à l’obscur Sean Gulette, qui interprète avec beaucoup de talent ce personnage annonciateur de ce que sera le « héros aronofskien » qui allait habiter l’œuvre du cinéaste, de « The Fountain » à « The Wrestler », en passant par « Black Swan », « Noah », ou, plus récemment, « Mother ! ».

Car Max Cohen, mathématicien de génie, symbolise « parfaitement » l’addiction, l’obsession, la quête de l’impossible, la névrose… Rongé par une quête monomaniaque, il est régi par une idée fixe qui le hante et finit par le dépasser, affectant profondément son état mental. Il sombre chaque jour davantage dans un délire paranoïaque alors qu’il est frappé de migraines intenses et d’hallucinations. Son corps souffre lui aussi tout naturellement de cet état maladif, symbolisé par l’excroissance qu’il se découvre sur le crâne…

Malgré sa brillante performance, Sean Gulette ne profitera que peu des retombées du film en tant que comédien, n’apparaissant qu’une vingtaine de fois à l’écran au cours des années suivantes. Il ne revint que très brièvement dans l’actualité cinématographique en 2013 avec « Traitors », qu’il écrit et réalise et où il brosse le portrait d’une jeunesse marocaine éprise de rêves et de libertés sans fin, mais désemparée et embourbée au cœur d’un pays stagnant économiquement et socialement. A noter que le film, qui bénéficia d’un bel accueil critique et remporta plusieurs distinctions en festivals, mettait en scène Chaimae Ben Acha et Soufia Issami, mais aussi le comédien belge Mourade Zeguendi.

Dans les années qui ont suivi sa prestation hallucinée dans « Pi », Gulette s’est en réalité davantage consacré à la production ainsi qu’à l’édition et à l’écriture, en tant qu’auteur et essayiste. Ses textes ont été publiés dans de nombreux livres et magazines.

Tourné entièrement à New York (Coney Island, Brooklyn, Chinatown, Lower East Side), « Pi », malgré son budget réduit, bénéficie de très grandes qualités techniques, tout d’abord visuelles, grâce aux cadrages et aux mouvements frénétiques de la caméra voulus par le réalisateur, qui captent à la fois l’effervescence du monde et le chaos intérieur de son protagoniste principal, mais aussi au travail exceptionnel de Matthew Libatique, dont la photographie somptueuse soutient l’œuvre de bout en bout sur base d’un format 16 mm et dans un noir et blanc très contrasté.

Les autres collaborateurs d’Aronofsky livrent eux aussi un travail d’exception, à commencer par le brillantissime montage signé Oren Sarch et les effets sonores percutants concoctés par Brian Emrich. Sans parler de la bande originale lancinante signée Clint Mansell

« Pi » demeure un thriller noir, métaphysique et original, dense et immersif, par lequel le cinéaste pose les bases de ce que sera son langage visuel. Un premier film à la fois minimaliste et ambitieux. Techniquement virtuose et visuellement foisonnant. Une œuvre culte, définitivement.

Note : 8/10

Vincent Legros – Le 30 août 2019

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