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À la recherche du temps perdu

Armageddon Time

Trois ans après avoir emmené Brad Pitt aux confins de la galaxie dans « Ad Astra », James Gray revient sur Terre et investit son cher New-York avec « Armageddon Time ». Dans ce film quasi-autobiographique, il y poursuit son exploration de la famille, thème récurrent de son cinéma.

S’inspirant de sa propre jeunesse, il focalise ici son attention sur une étape jamais évidente de la vie qu’est le passage de l’enfance à l’adolescence.

Présenté en compétition officielle au festival de Cannes 2022, « Armageddon Time », emmené par Anne Hathaway et l’immense Anthony Hopkins, devrait séduire les fans de la première heure du réalisateur.

Notre verdict…

Critique « Armageddon Time » (2022) : À la recherche du temps perdu - ScreenTune
Photo prise par Anne Joyce © 2022 Focus Features, LLC.

Synopsis :

L’histoire très personnelle du passage à l’âge adulte d’un garçon du Queens dans les années 80, de la force de la famille et de la quête générationnelle du rêve américain.

La quête identitaire est un sujet omniprésent dans la filmographie de James Gray, ses œuvres semblent toutes liées de près ou de loin à sa propre histoire familiale. Descendant d’immigrés ukrainiens, le cinéaste s’est constamment interrogé sur cet héritage et l’idée du rêve américain.

Tous ses personnages ont en commun ce désir de trouver leur place, de se construire une identité. Des destinées qui s’écrivent dans des genres multiples : le film de gangsters à plusieurs reprises, la romance avec « Two Lovers », le récit d’aventures dans « The Lost City of Z » et enfin la science-fiction avec « Ad Astra ».

Critique « Armageddon Time » (2022) : À la recherche du temps perdu - ScreenTune
Photo prise par Anne Joyce © 2022 Focus Features, LLC.

Avec « Armageddon Time », le cinéaste new-yorkais signe un drame familial inspiré sur sa propre enfance dans le Queens. À travers le regard de Paul Graff, 11 ans, se déploie toute la puissance d’un récit multiple sur la fin de l’enfance et les changements que cela amorce avec son lot de déceptions face à la dureté de la vie mais avec toujours une petite lueur espoir. Le parcours du jeune garçon trouve écho dans cette Amérique du début des années 80 qui s’apprête à basculer dans l’ère Reagan, celle du capitalisme à outrance et du chacun pour soi, une société dans laquelle les discours élitistes annoncent la fin d’un monde.

Avec l’entrée dans l’adolescence, Paul va découvrir à ses dépens que la vie d’adulte n’a cure de ses rêves d’enfant, sacrifiés sur l’autel de la réussite sociale. Devenir un artiste n’est pas ce que la société attend de toi, ni ce que les parents espèrent pour l’avenir de leurs enfants. Un cruel apprentissage qui voit Paul se heurter à son histoire familiale, au lourd passé de ses aïeuls, issus de l’immigration et portés par une soif de s’intégrer coûte que coûte ; un schéma qui renvoie implicitement à celui de « The Immigrant ».

Critique « Armageddon Time » (2022) : À la recherche du temps perdu - ScreenTune
Photo prise par Anne Joyce © 2022 Focus Features, LLC.

Comme dans chacun des films du réalisateur, le socle familial est omniprésent, à la fois repère indispensable et frein à l’émancipation. Les envies artistiques de Paul peinent à trouver écho auprès de ses parents, qui ont d’autres ambitions pour lui, creusant peu à peu un fossé entre eux. Coincé entre une mère aimante mais soucieuse et un père intransigeant au point de se montrer parfois violent, le jeune adolescent se sent incompris et c’est auprès de son grand-père, Aaron, avec lequel il partage une relation fusionnelle, qu’il trouve une oreille attentive.

À ce titre, James Gray a le chic pour mettre en scène le milieu familial grâce notamment à la part d’intime qu’il y insuffle. Il suffit de voir cette scène de repas au début du film, relativement sereine à première vue mais dont le bouillonnement sous-jacent s’impose au fil des dialogues comme un prémisse des bouleversements à venir. 

Le cinéaste parvient à rendre lourd de sens des instants à priori banals, mais ce diner est un moment fondateur de ce qui va suivre, les intentions de chaque protagonistes étant d’emblée définies tandis que l’avenir de Paul est en train de se jouer sans qu’il n’en soit vraiment conscient.

Critique « Armageddon Time » (2022) : À la recherche du temps perdu - ScreenTune
Photo prise par Anne Joyce © 2022 Focus Features, LLC.

Bientôt le jeune garçon fera la douloureuse expérience de l’exclusion, du rejet, de l’injustice et de la mort au travers d’un parcours initiatique sur la fin de l’innocence. Rejetant les normes que ce monde lui impose, Paul va s’unir au cancre de la classe, Johnny, jeune Afro-Américain pas gâté par la vie. Dans cette allégorie des « Quatre Cents Coups » de Truffaut, les deux garçons se retrouvent unis dans leur quête d’émancipation et vont découvrir à leur dépend un monde où la discrimination est reine et où l’ordre social prime sur le vivre ensemble.

Le principal défi de ce scénario était qu’il repose en grande partie sur les épaules d’un enfant de 11 ans mais la performance du jeune Banks Repeta est admirable, le jeune garçon désarçonne par sa facilité à transmettre des émotions. A ses côtés, Anne Hathaway offre au film certaines de ses plus belles scènes en mère impuissante tandis que Jeremy Strong démontre toute la puissance de son jeu.

Enfin, comment ne pas évoquer l’éternel Anthony Hopkins qui, après « The Father » s’offre un nouveau rôle crépusculaire dans un style néanmoins plus lumineux, mais tous aussi poignant, en grand-père confident plein de sagesse.

Critique « Armageddon Time » (2022) : À la recherche du temps perdu - ScreenTune
Photo prise par Anne Joyce © 2022 Focus Features, LLC.

Une des seules réserves que l’on peut avoir, c’est que Gray ne donne pas vraiment l’occasion au spectateur de réfléchir à la portée de son message. Les réactions des personnages sont amplifiées pour bien montrer l’étendue de ce qui se joue sous nos yeux, avec par exemple des gros plans sur des visages en pleurs pour bien souligner le côté bouleversant d’une scène, comme si le public avait besoin de ça pour comprendre.

Enfin, dans le déroulement de son intrigue, on ne retrouve pas ce moment de bascule qui permet au héros d’évoluer, d’apprendre de ses erreurs et d’enfin trouver sa voie. A chaque fois que Paul semble donner l’impression d’avoir retenu la leçon et être prêt à avancer, le jeune adolescent retombe inlassablement dans ses travers tel un alcoolique qui replonge après une cure,. Le dénouement laisse planer le doute, c’est sans doute un choix délibéré du réalisateur mais il en résulte un léger goût de trop peu.

Critique « Armageddon Time » (2022) : À la recherche du temps perdu - ScreenTune
Photo prise par Anne Joyce © 2022 Focus Features, LLC.

Avec « Armageddon Time », James Gray parvient avec un sens pointu de l’analyse à faire vivre la petite histoire dans la grande en signant une œuvre intime mais ô combien universelle. A la manière d’un Proust et sa recherche du temps perdu, le cinéaste plonge dans ses souvenirs pour construire un récit d’apprentissage qui résonne en chacun d’entre nous qui avons dû faire face à ces expériences fondatrices de notre existence.

En se confrontant à son passé, James Gray donne vie à un drame intime et bouleversant sur la perte de l’innocence. Un film d’une élégance folle qui touche en plein cœur et réussi à retranscrire ces petites choses qui font ce que nous sommes autant qu’il propose un discours très actuel sur l’état de la société américaine.

NOTE :

0 /10

« Armageddon Time » vaut le déplacement pour plusieurs raisons : son travail de reconstruction par la mémoire, l’habileté de Gray pour mettre en scène le quotidien et la photographie vintage de Darius Khondji qui confère au film une ambiance nostalgique feutrée ; son casting magistral (mention spéciale pour la révélation Banks Repeta) et surtout pour ses thématiques universelles et intemporelles.

Damien Monami Legros – Le 13 décembre  2022

Sources Photos : 

© 2022 Focus Features, LLC.

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