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Libérez les monstres !

Titane 

Fiévreux, furieux, brûlant, percutant…

Expérimental, transgressif, radical…

Choquant, violent, malsain, monstrueux…

Une expérience sensitive, pulsionnelle, organique…

Le moins que l’on puisse dire, c’est que « Titane », présenté le 13 juillet dernier en compétition officielle à l’occasion de la 74ème édition du Festival de Cannes, a marqué les esprits, secouant (et divisant) critiques et public présents sur la Croisette. Quatre jours plus tard, l’onde de choc était loin d’être passée… Elle allait même s’accentuer lorsque le « Président » Spike Lee décerna à Julia Ducournau la Palme d’Or, accompagné de son jury composé notamment de Tahar Rahim, Mélanie Laurent, Mylène Farmer, Maggie Gyllenhaal et Song Kang-ho. La réalisatrice devenait à cette occasion la seconde femme à obtenir la récompense suprême, 28 ans après Jane Campion pour « La leçon de piano ».

Depuis la projection cannoise, la critique s’en est donnée à cœur joie, disséquant l’œuvre, sur le fond et la forme, l’analysant au regard de ses inspirations et aspirations et des multiples thématiques qui la hantent : poids et complexité des relations familiales, sociales, amoureuses et sexuelles, questionnement sur les genres, la différence et la monstruosité, rapport au corps, transformations et mutations de la chair, quête d’identité et révélation de soi, féminité, désir et maternité…

Critique « Titane » (2021) : Libérez les monstres ! - ScreenTune
© 2021 O'brother Production

Synopsis :

​Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans. Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs.

Julia Ducournau avait déjà abordé certains de ces sujets dans ses films précédents, à commencer par « Junior » en 2011, un court métrage dans lequel elle explorait la transformation du corps de Justine, une jeune fille de 13 ans (Garance Marillier). L’année suivante, elle coréalisait avec Virgile Bramly le téléfilm « Mange », où Laura, une belle avocate (Jennifer Decker), ancienne adolescente boulimique, cherche à se venger de celle qui ruina son adolescence. En 2015, elle livrait son premier long métrage, « Grave », dont les prises de vues se déroulèrent entièrement en Belgique, et majoritairement sur le site de l’Université de Liège au Sart Tilman. Au travers de Justine (Garance Marillier), une étudiante en médecine qui cède au cannibalisme, la cinéaste y auscultait les relations amoureuses et familiales et le rapport de l’héroïne au corps, au désir et à la sexualité. Ella Rumpf, Rabah Naït Oufella, Joana Preiss, Laurent Lucas, Marion Vernoux, Bouli Lanners, Jean-Louis Sbille, Thomas Mustin (Mustii) ou encore Pierre Nisse étaient à l’affiche de ce film coproduit par la comédienne Julie Gayet et la firme liégeoise FraKas Production. Très remarqué lors de sa présentation à la Semaine de la Critique à Cannes, « Grave » remporta de nombreux prix en festivals, ainsi que six nominations aux César.

Après une parenthèse américaine au cours de laquelle elle réalisa deux épisodes de la série « Servant », créée et produite par M. Night Shyamalan, Julia Ducournau propose avec « Titane » un film-synthèse de toutes ses « obsessions ».

Quant aux Liégeois de FraKas (Jean-Yves Roubin, Cassandre Warnauts), à nouveau crédités en tant que coproducteurs après « Grave », ils sont aux anges ! Depuis 2007, ils ont mené à bien la concrétisation d’une cinquantaine de films, courts et longs métrages de fiction et documentaires, parmi lesquels « Réparer les vivants », « Seule à mon mariage », « Girl » ou encore « Onoda, 10.000 nuits dans la jungle », un film présenté lui aussi cette année à Cannes en ouverture de la section « Un certain regard ». Cette Palme d’or couronne leur formidable travail, nourri de curiosité, de passion et d’exigence !

Critique « Titane » (2021) : Libérez les monstres ! - ScreenTune
© Photo de notre Chroniqueur Vincent Legros avec Julia Ducournau

On y part à la rencontre d’Alexia (Agathe Rousselle), une jeune femme qui, durant l’enfance, s’est vue insérer une plaque de métal dans la crâne suite à un grave accident de voiture. Devenue adulte, elle vit chez son père (Bertrand Bonello) et gagne sa vie en dansant et en prenant des poses lascives dans des salons motorisés. Suite à une virée nocturne qui tourne mal, elle décide de changer d’identité, prenant une apparence masculine. Elle croise la route d’un commandant des pompiers autoritaire et sous stéroïdes (Vincent Lindon), qui voit en « lui » son fils disparu depuis 10 ans. Cette réunion improbable de deux solitudes, de deux âmes en souffrance, se transforme rapidement en une relation symbiotique viscérale…

Le récit est proposé sous une forme très travaillée, grâce notamment à la photographie signée Ruben Impens. Le travail sur les lumières est particulièrement remarquable et n’est pas sans rappeler certains univers graphiques captés chez Lynch, Winding Refn ou Gaspard Noé. Le montage, le travail sur le son et la musique (signée Jim Williams) font eux aussi l’objet d’une grande attention de la part de la réalisatrice.

Critique « Titane » (2021) : Libérez les monstres ! - ScreenTune
© 2021 O'brother Production

Pour servir son propos, Julia Ducournau pousse les curseurs au maximum dans une approche scénaristique et visuelle foisonnante et démesurée, n’hésitant pas pour se faire à verser dans une dimension fantastique. « Titane » est une ode à la différence et à la liberté.

La liberté d’exister et de jouir de sa vie et de son corps sans limites, quitte à générer l’hybride ou le monstrueux (mais qui sont les monstres en réalité ?). Le tout avec en filigrane cette quête aussi irrépressible que souvent illusoire d’attention, d’affection et d’amour (amour des autres et de soi).

Si d’aucuns soulignent le travail singulier, courageux et inspiré de la réalisatrice, la filiation avec David Cronenberg est rapidement évidente, puisque l’on y retrouve bon nombre de sujets déclinés par le cinéaste canadien depuis une quarantaine d’années, à commencer celui de l’étude de corps et d’esprits en pleins bouleversements, dégénérescences ou mutations, de « Stereo » à « Faux-semblants », en passant par « Crimes of the Future », « Frissons », « Rage » ou « La Mouche ». On pensera bien sûr ici plus particulièrement à « Chromosome 3 » et son enfant mutant et tout naturellement à « Crash », adaptation du roman du même nom de J. G. Ballard et Prix Spécial de Jury à Cannes en 1996.

D’autres références multiples, conscientes ou inconscientes, sauteront aussi aux yeux de certains à la vue de l’héroïne devenue tueuse en série, de celle d’êtres hybrides en fusion chair-métal ou encore de cette voiture en version humanisée (« Christine » de John Carpenter, d’après Stephen King, n’est pas si loin).

Note : 7/10

Vincent Legros – Le 27 juillet 2021

Sources Photos :

  • © 2021 O’brother Production

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