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Jamais sans mon frère. 

Faux-semblants 

Le 7ème Art a très vite perçu toute l’étendue de l’impact qui pouvait marquer le spectateur confronté à la mise en lumière de personnages frappés de « questionnement identitaire ». Tous les artifices scénaristiques et techniques ont dès lors été utilisés au fil du temps afin de proposer au public de multiples variations sur les thématiques de la ressemblance physique (sosies (naturels ou non), jumeaux (vrais et faux), clones (parfois multiples), de la crise identitaire (notamment sexuelle), des troubles psychiques (schizophrénie, bipolarité), voire de l’altération physique ou psychologique, subie ou volontaire (absorptions de substances psychotropes, opérations, mutilations, transformations, mutations).

La gémellité, dans tout ce qu’elle peut avoir de fascinant, a bien entendu, elle aussi, représenté une importante source d’inspiration pour les cinéastes, et ce dans tous les genres possibles et avec plus ou moins de bonheur.

Parmi les centaines de titres existants, citons notamment ceux qui s’inscrivent principalement dans le registre de la comédie, au sens large du terme (« Les Jumeaux de Brighton » de Claude Heymann, « La fiancée de papa » de David Swift, « Les Demoiselles de Rochefort » de Jacques Demy , « Le jumeau » d’Yves Robert), du fantastique (« L’autre » de Robert Mulligan, « Sœurs de sang » de Brian De Palma), du polar (« The Krays » de Peter Medak) et bien sûr du drame (« Deux » de Werner Schroeter, « Les jolies choses » de Gilles Paquet-Brenner, « Trouble » de Harry Cleven, « Je vais bien, ne t’en fais pas » de Philippe Lioret , « Donne-moi la main » de Pascal-Alex Vincent,  « Incendies » de Denis Villeneuve, « Le grand cahier » de János Szász ou encore « L’Amant double » de François Ozon).

Lorsque le cinéaste canadien David Cronenberg s’empare de cette thématique en finalisant le scénario de « Dead Ringers » en compagnie de Norman Snider, d’après le roman « Twins » de Bari Wood et Jack Geasland, il souhaite poursuivre son exploration du corps humain dans ce qu’il peut avoir de plus complexe, malsain, morbide, monstrueux.

Synopsis :

Deux vrais jumeaux, Beverly et Elliot Mantle, gynécologues de renom, partagent le même appartement, la même clinique, les mêmes idées et les mêmes femmes. Un jour, une actrice célèbre vient les consulter pour stérilité.

Depuis ses expérimentations underground dès la fin des années soixante à l’occasion de ses premiers tournages (« Transfer », « From the Drain », « Stereo ») et pendant les deux décennies suivantes (« Crimes of the future », « Frissons », « Rage », « Chromosome 3 », « Scanners », « Videodrome », « Dead zone », « La mouche »), Cronenberg ne cessera de plonger le spectateur dans les méandres de corps et d’esprits subissant bouleversements, métamorphoses, dégénérescence…

« Dead Ringers » nous emmène à la rencontre des frères Elliot et Beverly Mantle, deux jumeaux gynécologues réputés, spécialistes du traitement de l’infertilité et qui partagent non seulement leur cabinet et leur domicile, mais également leurs conquêtes féminines. Si le premier est plutôt un séducteur mondain et charismatique, le second est timoré et introverti. Ils n’hésitent pourtant pas à se livrer à des échanges de personnalité, tant dans leur vie professionnelle que dans leurs jeux sexuels. La rencontre avec Claire Niveau, une actrice de passage, va disloquer leur équilibre fraternel. Stérile car dotée de trois cols de l’utérus, elle est une adepte de pratiques masochistes et est accroc aux excitants. Beverly en tombe rapidement et profondément amoureux, refusant de la partager avec son frère, comme il le fait « traditionnellement ». Il s’enfonce alors dans une relation passionnelle, autodestructrice, entrainant dans sa folie celui qui était jusque-là son inséparable complice de vie et de jeu…

Dans la peau des jumeaux Mantle, face à la comédienne montréalaise Geneviève Bujold qui incarne avec brio le catalyseur de leur vertigineuse descente aux enfers, le Britannique Jeremy Irons livre une de ses plus saisissantes compositions à l’écran, deux années après avoir incarné le Père Gabriel, un jésuite espagnol plongé au cœur de la jungle sud-américaine au 18ème siècle dans « Mission » de Roland Joffé, Palme d’Or cannoise et qui valut au comédien une nomination aux Golden Globes.

La complexité du rôle et l’implication du comédien dans son travail d’immersion au cœur de l’univers malsain créé par le cinéaste canadien ne le laissèrent pas indemne. Éprouvé par ce tournage, Jeremy Irons s’accorda ensuite deux temps plus « légers », en acceptant de participer à une coproduction Disney aux côtés de son fils Samuel, « Danny, champion du monde » de Gavin Millar, puis en rejoignant la Belgique afin de tenir le premier rôle masculin d’« Australia » du cinéaste verviétois Jean-jacques Andrien, tourné dans la cité lainière, à Theux et Spa, aux côtés de Fanny Ardant, Tchéky Karyo, Agnès Soral et Patrick Bauchau. Quelques mois plus tard, il renoua avec un personnage particulièrement ambigu en se glissant dans la peau du milliardaire Claus von Bülow dans « Reversal of Fortune » (« Le mystère von Bülow ») de Barbet Schroeder, rôle pour lequel il décrocha l’Oscar du « meilleur acteur ».

Pièce majeure dans la filmographie du maître de « l’horreur psychologique », « Faux-semblants » est un chef d’œuvre à la cérébralité affichée et aux tonalités glaçantes, tant esthétiques que sonores, une plongée oppressante dans un univers à la fois bouleversant et angoissant, magnifiée par la virtuosité de ses fidèles complices, dont Peter Suschitzky à la photographie, Carol Spier aux décors, son épouse Denise Cronenberg aux costumes, sans oublier Howard Shore, qui signe ici une magnifique partition musicale.

Note : 8/10

Vincent Legros – Le 20 octobre 2019

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