Critique de « High Life » (2018) – « La vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie. »
« La vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie. » High Life C’est précédé d’une
quand le passé rattrape L’actualité
Quel parcours que celui de Kathryn Bigelow, réalisatrice qui a su montrer que le paysage hollywoodien n’est pas fait que de grands réalisateurs masculins.
Elle qui avait cloué le bec à son ex-mari James Cameron aux Oscars en 2008, l’année du très surestimé « Avatar » qui avait tout ravagé sur son passage au Box-Office et pourtant battu par le très bon « Démineurs ». 6 oscars dont celui de meilleur film et de meilleur réalisatrice, Bigelow était sur le toit du monde du 7e Art en devenant la première réalisatrice sacrée aux Oscars. Elle reviendra en 2012 avec « Zero Dark Thirty » et replonge une nouvelle fois au Moyen-Orient avec un sujet éminemment politique sur la traque de Ben Laden par la CIA. Ce nouveau long métrage lui vaut à nouveau une nomination aux Oscars comme meilleur film sans pour autant obtenir le même succès.
La réalisatrice nous revient donc en 2017 avec un sujet encore plus poignant car cette fois, il s’attaque clairement aux fondements de la société américaine avec « Detroit».
Réalisé pile 50 ans après les faits qui se sont déroulés en juillet 1967 dans la cinquième plus grande ville des Etats-Unis, qui va connaître un embrasement jamais vu auparavant. Bigelow va retracer les violences policières récurrentes envers la communauté afro-américaine et nous conter l’histoire vraie de l’embrasement de la plus grande ville du Michigan à cause d’une descente de police dans un bar clandestin qui va lancer les prémices d’un soulèvement populaire. 5 jours durant, les quartiers noirs de la ville vont se transformer en champs de bataille, opposant les habitants révoltés à une police dont la violence va monter crescendo jusqu’à atteindre le point de non-retour.
Sobrement intitulé « Detroit », Kathryn Bigelow revient donc sur cette sombre page de l’histoire américaine moderne. Au casting, pas de superstar afin de se focaliser uniquement sur l’importance du sujet, « Detroit » s’appuie simplement sur la nouvelle génération avec John Boyega, Will Poulter, Anthony Mackie ou encore Algee Smith, pour illustrer ce qui restera comme une tragédie symptomatique d’une maladie qui gangrène encore aujourd’hui la société américaine.
Avec « Detroit », Bigelow signe une pépite politique qui risque de faire très mal au pays de l’oncle Sam. Une véritable claque, un uppercut qui vient droit s’écraser en plein visage d’un spectateur abasourdi. Une réussite indéniable comme l’ont été « Démineurs » ou « Zero Dark Thirty ».
La réalisatrice arrive à retranscrire avec une incroyable crédibilité l’atmosphère de ces émeutes emblématiques, à nous faire ressentir cette tension raciale qui régnait à l’époque. Et pas seulement à l’époque malheureusement, car si le long métrage de Bigelow dépeint des événements d’il y a 50 ans, ils font encore sens à l’heure actuelle. À travers cette œuvre cinématographique commémorative, Bigelow nous invite surtout à penser que cette question est toujours un sujet sensible, toujours une plaie qui frappe encore l’Amérique en plein cœur tous les jours et, qui la montre amoindrie et divisée.
Une œuvre férocement engagée alors que son histoire concorde également avec l’actualité récente (Charlottesville, Chicago ou encore Dallas et d’autres événements qui surgissent constamment), « Detroit » est à la fois un thriller à couper le souffle qui tord l’estomac de la première à la dernière seconde, mais aussi une immersion réaliste dans l’histoire de la communauté noire et qui décrit avec brio ses traumatismes passés, actuels et probablement futurs avec l’avènement de Donald Trump.
Bigelow a construit son œuvre en trois parties, exposant une contextualisation des faits avec un subtil mélange de videos d’archive, pour ensuite dépeindre les contours de la révolte populaire afro-américaine, pour ensuite poignarder son spectateur avec le drame du motel Algiers, sommet inoubliable et traumatisant des émeutes, et enfin finir sur le procès qui suivra ces événements tragiques.
« Detroit » brille sur tous les niveaux de lecture qui s’offrent au spectateur, tant pour l’efficacité première et le pouvoir d’immersion d’un film qui réussit à captiver le spectateur en ne lui laissant aucune échappatoire, que pour son formalisme brut dans lequel Bigelow utilise nerveusement et brillamment l’art de la caméra à l’épaule, sa juxtaposition fiction-archives, ou encore pour son intelligence qui évite habilement de sombrer dans le manichéisme qui aurait pu décrédibiliser son propos. Car Bigelow s’applique à ne défendre personne si ce n’est une cause noble. Très subtile pour dépeindre les rouages d’une tragédie inévitable, la réalisatrice s’applique à être honnête dans sa démarche, éliminant les torts des uns et des autres, montrant certaines maladresses et l’ignominie des réactions.
C’est là qu’est la plus grande force et la puissance du long métrage remarquable de justesse et de pertinence, Kathryn Bigelow prouve une nouvelle fois, qu’elle est l’une des meilleures pour filmer la tension. C’est avec un sentiment de malaise que l’on est happé pendant deux heures et demi et que l’on en ressort choqué par tant de vérité. Les nombreux points de vue observés dans le film lui offre un large champ de traitement, qui permet à « Detroit » de faire le tour de son sujet sans jamais lui faire perdre son intensité dramatique et thématique. « Detroit » est dense, riche et l’impact en est terrassant !
« Detroit » est un film qui vous mettra en colère. Il est conçu pour, et il ne fait rien pour en adoucir le coup ou pour créer un soulèvement artificiel. Mais il en exalte une certaine honnêteté incroyable. Un effort sincère pour éclairer le monde sur un chapitre singulièrement sombre de l’histoire américaine et un rappel brutal de ce qui se perd quand l’être humain ne parvient pas à prendre soin des siens. « Detroit » est dur, mais il en vaut le coup à chaque minute !
Note: 8,5/10
Julien Legrand – 19 mars 2018
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