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Ce rêve bleu.

Breaking Bad

Achevée il y a maintenant six ans dans un final explosif, la série créée par Vince Gilligan a laissé une trace indélébile dans l’univers des séries et dans l’esprit des téléspectateurs. A tel point qu’elle est considérée par beaucoup comme une des meilleures jamais produite et ce à juste titre tant le show porté par le talent de Bryan Cranston et d’Aaron Paul est un modèle en son genre à tous les niveaux. 

Alors comment expliquer un tel succès pour une série dont le pitch de départ semble assez classique de prime abord ? Celle d’un homme lambda, en l’occurrence Walter White, qui va vivre des événements auxquels il n’était pas prédestiné à la suite d’une nouvelle inattendue. Un classicisme qui n’empêche pas « Breaking Bad » de jouer dans la cour des grands et d’être incontestablement devenu culte. 

Mérite-t-elle tous ces superlatifs ? Éléments de réponses…

Synopsis :

Lorsqu’on lui diagnostique un cancer des poumons en phase terminale peu après qu’il ait fêté ses 50 ans, tout s’effondre pour Walter White. Il décide alors de mettre en place un laboratoire et un trafic de méthamphétamine bleue pour assurer un avenir financier confortable à sa famille après sa mort, en s’associant à Jesse Pinkman, un de ses anciens élèves devenu petit trafiquant.

D’emblée, « Breaking Bad » nous présente une vision peu reluisante des États-Unis, une plongée dans une Amérique profonde gangrénée par le trafic de drogue et touchée de plein fouet par la pauvreté. Celle-ci est justement caractérisée par son personnage principal, Walter White qui, du haut de ses 50 ans, mène une vie assez morose, une femme enceinte de manière incongrue, un fils souffrant d’un handicap moteur ainsi qu’un boulot de prof indigne de son prix Nobel de chimie qui l’oblige à exercer un second job ingrat afin de pouvoir payer les factures.

Un tableau déjà peu enviable qui va le devenir encore moins lorsqu’on lui annonce qu’il est atteint d’un cancer à un stade avancé qui ne lui laisse que deux ans à vivre. Un diagnostic qui résonne comme le point de départ de ce qu’on appelle le parcours du héros, ou plutôt de l’anti-héros en l’occurrence. Une aventure qui va faire de cet homme banal, le meilleur cuisinier de méthamphétamine bleue d’Albuquerque avant de devenir un des plus grands barons de la drogue, non seulement du Nouveau-Mexique où il réside, mais aussi des États-Unis. Au fur et à mesure de ses péripéties et de ses rencontres, ce bon Walter White va ainsi laisser place à sa face sombre, personnalisée sous le pseudonyme d’Heinsenberg.

Au cours des deux premières saisons, la série prend bien le temps d’installer son univers et les différents protagonistes qui s’y illustreront tout au long du récit. Elle en prend même un peu trop, la série évolue sur un faux-rythme empreint d’une certaine lenteur qui peut favoriser le décrochage de certains téléspectateurs trop impatients. 

Cette lenteur, qui s’estompe par la suite, est néanmoins largement comblée par une qualité d’écriture hors-norme, le soin apporté au scénario est incroyablement méticuleux. La série possède un fil conducteur cohérent qui repose sur de véritables rebondissements, parfois même minimes, qui ne sont jamais le fruit du hasard et ont toujours des conséquences à postériori.  Tout est savamment dosé dans « Breaking Bad », et ce jusqu’au plus infime détail.

La création de Vince Gilligan est d’une incroyable richesse, passant allègrement d’un style à l’autre, de l’action au suspense, de la tension aux scènes plus intimistes, et ce grâce à un montage très bien huilé. Le tout est saupoudré d’une bonne dose d’humour au ton noir et grinçant à l’image de l’ambiance générale qui oscille entre mensonges, accès de violence, quiproquos, tensions et désillusions. La série doit également ses lettres de noblesse à des dialogues au cordeau et des comédiens au sommet de leur art qui se mettent au diapason d’un show de grande qualité.

A commencer par Bryan Craston, acteur s’étant fait remarquer dans le rôle d’un père de famille déjanté dans la sitcom « Malcolm » au début du millénaire, un rôle aux antipodes de celui qui nous intéresse ici.  Il livre une performance d’une rare intensité qu’on avait plus connue dans l’univers des série TV depuis celle du regretté James Gandolfini dans « Les Soprano ». Sa façon d’insuffler à la fois du charisme et une certaine fragilité à son personnage est stupéfiante, il lui donne corps avec justesse et conviction. L’évolution qu’il a su apporter à son personnage au fil des saisons est tout simplement bluffante. Une interprétation exemplaire, un moteur énorme pour la série tant il hypnotise à chacune de ses apparitions.

Son acolyte dans la série n’est pas en reste non plus, Aaron Paul est tout simplement phénoménal dans la peau de Jesse Pinkman, junkie un peu paumé que Walter White décide de prendre sous son aile. Il s’agit certainement du personnage le plus profond et attachant de la série tant son interprète est brillant dans ce rôle. Il déploie une grande palette d’émotions dans son jeu et à cette capacité de faire ressentir les sentiments par lesquels il passe, on ne peut qu’être compatissant face aux drames que son personnage traverse au fil du récit. Une performance d’autant plus impressionnante que son personnage devait initialement mourir à la fin de la première saison mais Gilligan fut tellement convaincu qu’il a finalement décidé de le conserver dans l’intrigue, grand bien lui ait fait.

Les deux personnages sont à la fois fort différents mais tout autant complémentaires. Si de prime abord, Walter semble être comme un père pour Jesse, leurs antagonistes finissent toujours par reprendre le dessus, ce qui rend leur relation assez complexe. Si Pinkman est souvent présenté comme un second rôle, on peut le voir comme l’égal de son mentor grâce au charisme et à la sensibilité qu’il dégage.

Les autres acteurs ne sont pas en restes, à commencer par Dean Norris, qui incarne avec brio Hank Shrader, agent de la DEA et accessoirement beau-frère de Walter. Certainement le personnage le plus important derrière le duo principal, ou du moins celui qui a le plus évolué après nos deux héros. Anna Gun est parfaite dans le rôle de l’épouse qu’on aime tant détester tandis que Giancarlo Esposito nous offre un alter-ego crédible à Walter White en la personne de Gustavo Frings. Impossible aussi de ne pas évoquer Bob Odenkirk qui excelle dans le rôle de l’avocat véreux Soul Goodman, personnage loufoque qui apporte une bonne dose d’humour à l’ensemble, au point d’avoir eu droit à sa propre série par la suite (« Better Call Saul »).

Que dire alors de la réalisation qui frôle la perfection, le soin méticuleux qui y a été apporté confère au programme une identité propre et peu conventionnelle. La caméra n’hésite pas à s’attarder sur des détails et nous offre des plans contemplatifs d’une rare beauté, chose peu commune dans les séries TV où les scènes ont souvent tendance à s’enchaîner très vite pour garder le spectateur en haleine. Le travail sur les décors, les cadrages, la lumière sont aussi très minutieux, et absolument rien n’est laissé au hasard.

Les réalisateurs, quant à eux, rivalisent d’audace dans leur mise en scène : des plans en caméra embarquée sur des objets des plus banals (aspirateur, seringue, etc.), des transitions très bien foutues.  Certains épisodes de « Breaking Bad » sont des modèles du genre et valent le coup d’œil à eux seul, notamment celui intitulé « La mouche » (« Fly ») réalisé par Rian Johnson (« Looper », « Star Wars : Les Derniers Jedi » et prochainement « À Couteaux Tirés »), devenu culte de par son originalité.

Les thématiques abordées dans le récit sont nombreuses mais toujours traitées avec la plus grande minutie. Elle brasse un large éventail de problèmes sociaux propre au pays de l’Oncle Sam, comme la précarité (la sortie de « Breaking Bad » a coïncidé avec le début de la crise), l’isolement, une sécurité-sociale inexistante, et bien d’autres encore. Une critique sociale qu’incarne à lui seul Walter White, un homme qui rejette les valeurs d’une société qui ne fonctionne plus, qui ne peut pas le soutenir, à qui il a donné sans compter sans jamais rien recevoir en retour. Animé d’un orgueil allant toujours croissant, il rejette toute main tendue, veut vivre « son » rêve américain qui tourne au cauchemar, réussir seul, en dehors des limites imposées par la morale et accessoirement la loi.

« Breaking Bad », c’est une odyssée dans les méandres de la moralité, dans les contradictions d’une Amérique profonde en proie à toutes les désillusions, un questionnement subtil sur la notion du bien et du mal, sur la part d’ombre qui sommeille en chacun de nous.

Une série qui doit son succès, pour beaucoup, à son duo d’acteurs complémentaires comme on en voit peu. Un couple qui sublime encore un peu plus une série déjà excellente en tous points, une réalisation soignée, un scénario ultra bien ficelé et riche en rebondissement, des personnages tantôt complexes, tantôt excentriques sans oublier des plans de caméra riches et osés ainsi qu’une bande sonore des plus efficace.

Au vu de toutes les qualités qu’on vient d’évoquer, on peut légitimement parler d’un chef d’œuvre pour qualifier « Breaking Bad ». La série imaginée par Vince Gilligan est au-dessus du lot et fait clairement partie du haut du panier dans le domaine télévisuel, on peut aisément la ranger dans le panthéon des séries, au même titre que « Les Soprano », « Six Feet Under » ou « The Wire » qui ont elles aussi marqué les esprits de manière considérable.

Bref, à la question de savoir si « Breaking Bad » mérite tous ces superlatifs, on peut clairement répondre par l’affirmative, il s’agit tout simplement d’une des meilleures séries de tous les temps à n’en point douter.

Note : 9,5/10

Damien Monami – Le 25 octobre 2019

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